19.À la fois submergés et contents

Évoluant à corps perdu pour
« être en avance sur notre temps »
Lancement de versions améliorées les unes après les autres

 

« jX-WORD Taro » que nous avions sorti en février 1985, était au prix de 58 000 yens. C’était la moitié de ce qu’avaient proposé les autres entreprises nous ayant précédés. Cela avait déjà surpris mais nous avions décidé de vendre « Ichitaro Version 2 », que nous avions lancé l’année suivante, pour 30 000 yens sans reprises, aux utilisateurs existants. L’idée était d’amener le plus de gens possible à utiliser Ichitaro.

 

La mise à niveau était une stratégie pour qu’un nombre encore plus important de gens puissent en venir à l’utiliser. Nous avions prévu à l’origine, de publier une nouvelle version tous les trois mois, mais le développement ne pouvait pas se faire à un tel rythme. Nous nous sommes efforcés quand même à avancer à un rythme que nos compétiteurs ne pourraient pas suivre.

Et ce que nous avions privilégié dans ces circonstances, fut la voix du client. Deux cartes postales avaient été incluses dans le paquet d’Ichitaro. L’une était pour s’inscrire. Et l’autre pour donner son avis. Nous écoutions ce que les utilisateurs avaient à dire, par exemple, sur les fonctions qui devraient être ajoutées dans la prochaine version, comment l’améliorer afin de faciliter davantage son utilisation. Tout ceci nous servirait de référence. Je pense qu’il y a ici aussi, l’un des éléments qui ont amené Ichitaro à prendre le marché d’assaut.

Comme prévu, les utilisateurs avaient été nombreux à nous retourner les cartes postales pour nous donner leur avis. Au point que nous avions construit des étagères spécialement à cet effet, et même engagé des personnes pour les mettre en ordre. Nous les examinions une par une, pour faire évoluer Ichitaro en appliquant ce que le client exigeait de lui.

Et ces efforts avaient porté leur fruit, et la version 2 avait atteint un nombre de ventes record de plus de 76 000 exemplaires. Et la version 3, sortie l’année suivante, en juin 1987, fut un vif succès avec 310 000 exemplaires vendus. Les fans l’avaient surnommé « Santaro » (San pour troisième) car c’était le troisième de sa génération.

Tous nos efforts en la matière a probablement été l’un des facteurs derrière ce succès, mais il y avait finalement, à la base, la croissance rapide du marché des PC en luimême. Bien qu’à cette époque, il n’y avait pas encore internet comme aujourd’hui, je sentais que nous approchions progressivement de cette ère de « un ordinateur par personne » à laquelle j’avais pensée lorsque nous avions fondé notre entreprise.

J’ai plusieurs fois évoqué dans cette série, le fait d’avoir comparé ma vie au courant du fleuve Yoshino lorsque nous lancions notre entreprise. Que si je pouvais m’accrocher à un tronc d’arbre au milieu de ce courant, et ramer cette eau de mes mains, je pourrais être encore plus en avance sur mon temps.

Submergé par le travail au quotidien, je n’avais pas eu le temps de regarder en arrière à l’époque, mais je pense que dans ce courant de l’informatique, j’avais effectivement saisi ce tronc d’arbre qu’était Ichiro, et faisant tourner mes bras, je continuais à ramer avec énergie pour aller encore plus vers l’avant.

Il y avait eu cet épisode aussi. C’était après la sortie d’Ichitaro en 1985. Nous tenions une réunion stratégique avec les employés pour la prochaine édition, à Ikedacho, en remontant le fleuve Yoshino depuis la ville de Tokushima où se trouvait le siège social. C’est alors que nous avions reçu un appel depuis le bureau.

« Monsieur, nous avons un gros problème. Revenez tout de suite, s’il vous plaît. »

Alors que je me demandais ce qu’il pouvait bien se passer, il semblerait que les enveloppes n’étaient pas ouvertes à temps. À l’époque, les clients ayant effectué les mises à jour, nous envoyaient leur paiement en liquide en lettre recommandée. Nous utilisions une étagère de la taille d’une personne, comme coffre-fort, pour y mettre les enveloppes envoyées en recommandé, mais elles n’étaient finalement pas ouvertes à temps, et il n’y avait plus de place. On me disait aussi qu’à force d’utiliser les ciseaux pour les ouvrir, les employés avaient des éraflures au majeur qui leur faisaient mal. C’est ce qu’on appelait être submergés et contents à la fois.

« Devenir numéro un au Japon ». L’objectif que je m’étais promis envers mon ancien élève, avait été atteint. Cependant, même maintenant, Hatsuko me dit : « Si seulement tu avais dit numéro un dans le monde à cette époque. » C’est peut-être effectivement vrai. Mais nous avions alors encore beaucoup à faire au Japon. Pour faire évoluer les ordinateurs et contribuer à l’amélioration de la productivité intellectuelle dans ce pays.

 

Disquette « Ichitaro version 3 »